Retour sur le scandale de la ligue du LOL
Vous avez certainement entendu ce nom pour la première fois en ce début d’année 2019, lorsque « La ligue du LOL » a été révélée au grand jour. Le scandale qui l’accompagnait alors a profondément choqué l’opinion publique, et a réanimé le débat sur le cyberharcèlement. Retour et analyse de ce triste épisode.
Née en 2009, la Ligue du LOL est un groupe Facebook créé par le journaliste Vincent Glad. Cette petite communauté virtuelle regroupait alors une trentaine d’hommes tous journaliste, publicitaires, ou communicants parisiens.
À l’époque où Twitter n’est encore que peu connu et utilisé dans le monde, la plupart des membres de la ligue y sont déjà très actifs. C’est sur ce réseau que va s’étendre entre 2010 et 2012 leurs « blagues » qui vont rapidement se transformer en harcèlement. Les cibles privilégiées de la ligue sont les femmes et les minorités. Ainsi, c’est par le biais du compte anonyme « Foutlamerde » que 6 à 7 des membres de la ligue, dont Vincent Glad, vont tweeter des insultes, menaces et blagues de mauvais goût à l’encontre de plusieurs journalistes ou blogueurs. Capucine Piot, journaliste beauté, a fait les frais de cet acharnement, et décrit presque 10 ans plus tard un « travail de démolition parfois quotidien de la Ligue du LOL, je suis devenue la cible de plus d’attaques d’inconnus, l’enfer commençait ». Elle s’est d’ailleurs exprimée par la suite lors d’un interview pour Quotidien. Loin d’être la seule victime de ces agissements, Capucine Piot a subi le même sort que la blogueuse féministe Daria Marx, ou que le blogueur Cyril Paglino entre autres.
« Pourquoi n’avons-nous pas parlé pendant toutes ces années ? Parce que ces gens-là avaient des postes importants, étaient amis avec des rédacteurs en chef influents ou des personnes à des postes de direction à “Slate”, à “Libération”, aux “Inrocks”, dans la presse people ou magazine — ceux qui sont cités parmi les membres de la Ligue du LOL. Précaires, nous avions peur de perdre des opportunités de travailler. »
Ces déclarations de la journaliste Léa Lejeune pour Slate.fr rendent compte du terrible enfermement dans lequel les victimes de la ligue se trouvaient. Le Figaro culture a d’ailleurs recueilli les témoignages vidéo de plusieurs victimes.
Et si certains propos tweetés étaient d’une violence sans équivoque, pour la plupart des posts, il s’agissait de messages implicites et de blagues détournées qui rendaient l’apport de preuves compliqué. C’est en mettant bout à bout tous les posts visant une seule personne que l’on peut se rendre compte de l’ampleur de l’acharnement.
C’est finalement en février 2019, après une prise de position très marquée de la part de Vincent Glad concernant le mouvement des Gilets jaunes, que certaines de ses anciennes victimes ont réagi, faisant référence à ses dires à l’époque de la ligue du LOL. C’est quelques jours plus tard que le scandale a réellement éclaté lorsque Libération sort son article.
Qui étaient les membres de la ligue ?
Il ne s’agit pas ici d’établir une liste de noms, qui n’aurait pas grand intérêt, mais plutôt d’essayer de comprendre le profil et les motivations des membres de la ligue du LOL. Pourquoi de jeunes actifs, journalistes pour la plupart, en pleine réussite professionnelle, ont-ils eu ce besoin de descendre leurs confrères, et de se liguer contre une multitude de personnes qui, a priori, ne leur avait rien demandé ?
Un groupe d’hommes harcelant une majorité de femmes, c’est la triste et redondante histoire de la division sexuelle. Schéma de conservation du pouvoir ou politique d’exclusion, ses termes peuvent définir le processus qui s’est mis en place, poussé par l’effet de groupe. L’affaire de la ligue relève d’une organisation aux actes sexistes, qui par ses propos, a poussé plusieurs femmes à s’éloigner du champ professionnel. En effet, journalistes ou blogueuses pour la plupart, beaucoup de ses femmes se sont résignées à quitter les réseaux sociaux, ne pouvant plus supporter le harcèlement dont elles étaient les victimes. Cependant, la présence sur le web, et en particulier sur les réseaux, fait partie intégrante de la profession. Cette mise à l’écart a porté préjudice à la carrière de certaines des victimes, et renvoie au débat sur l’égalité des sexes dans le milieu professionnel. La domination masculine dans le monde journalistique était déjà un fait avéré, mais l’affaire de la ligue du LOL démontre qu’au-delà de simples statistiques, ce sont des actions d’exclusion et de dévalorisation délibérées qui s’organisaient.
Plusieurs fois, cette entente masculine a été comparée au phénomène de « Boy’s Club ». Dans la culture américaine, il s’agit de groupes très fermés de garçons qui détiennent un certain pouvoir, et qui pour asseoir leur « autorité » n’hésitent pas à rabaisser ou à humilier ceux qu’ils considèrent comme inférieurs. Cette appartenance à un groupe, le cas échéant, s’avère dangereuse, car elle confère à ses membres une confiance en eux exacerbée et injustifiée, qui les pousse, sous couvert de l’humour, à briser des confrères. L’effet de groupe, dans le cas de la ligue du LOL, a également une part plus qu’importante dans les faits : ne pas être seul, mais se savoir à sept personnes cachées derrière un compte anonyme déculpabilise les auteurs, les poussant à aller plus loin, sans même avoir l’impression d’atteindre le stade de la malveillance poussée à son paroxysme.